"LE VIEIL HOMME. DES ADIEUX." - Noga ALBALACH

"Le vieil homme était assis au bord du brancard, avec une couche pour seul vêtement.
Il avait réussi à enlever tout seul la chemise d'hôpital. Et s'il avait pu il se serait défait de la couche agaçante dont il n'avait pas eu besoin jusqu'à ce jour. Et maintenant, assis comme un bébé au bord du lit d'hôpital, l'esprit confus, il cherchait un moyen d'en descendre."

Un vieil homme tire lentement sa révérence. Et sur cette route vers la mort, ses souvenirs et sa personne se désagrègent, charriés par le flot de vie qui s'échappe. Sa femme et sa fille l'accompagnent du mieux qu'elles peuvent, bouleversées par la situation, tentant de faire face à la maladie de l'oubli. De la maison à l'hôpital jusqu'à la disparition et l'après, Le Vieil homme. Des adieux.  narre, depuis le point de vue de la fille du vieil homme, les derniers moments de cet être qui disparaît, et tout ce que la disparition fait apparaître de ce qu'il a été et de ce qu'il a légué.

"La fille du vieil homme est émue : que de choses sont cachées en chacun de nous sans que nous le sachions."

Totalement écrit à la troisième personne du singulier, donc à une certaine distance des personnages, le texte de Noga ALBALACH n'en est pas moins chargé d'empathie et de respect. Par petites touches, sous forme de micro chapitres de moins d'une page, les événements saisis et la parole qui les décrit font montre d'une superbe justesse de ton. Ni pathos dégoulinant ni froideur rigide, tout ici relève de la tendresse, de l'affection, et de la volonté de laisser toute sa dignité à ce vieil homme qui s'en va.  La fiction laissant apparaître au fur et à mesure sous ces pronoms et adjectifs distanciés une réalité que l'on devine toute biographique, la pudeur enveloppe chacune des lignes.

Noga ALBALACH écrit son père, tente d'en capter la mémoire alors même que celle-ci s'évapore. En fille aimante et timide elle tourne autour des souvenirs et du présent qui s'amenuise, capte le chagrin, la mélancolie, mais aussi le rire qui perdure dans les situations les plus absurdes. Elle écrit pour conserver mais parvient beaucoup plus loin : elle redessine in fine un portrait enfoui de ce père humble et réservé en reliant pour la première fois des points de son histoire qu'en personne trop  proche elle n'avait jamais observé.

"Mais l'optimisme ne se décide pas ; il est une inclination du cœur, une qualité."
Même s'il se fâchait parfois, ou n'extériorisait jamais sa joie, ne dansait pas, ne se réjouissait pas, le vieil homme avait en lui un enthousiasme ardent qui le conduisait sur son chemin avec un optimisme irrémédiable. C'était un optimisme qui le nourrissait de l'intérieur et il s'y soumettait avec la timidité qui le caractérisait"

Tragique mais constellé de sourires, car la vie est ainsi faite, Le Vieil homme. Des adieux.  se révèle surtout être un fabuleux livre sur la résilience et un splendide hommage à ceux et celles qui traversent nos vies et la marquent de leur empreinte.



Noga ALBALACH, Le Vieil homme. Des adieux , 2020, éditions Do, trad. Rosie Pinhas-Delpuech