
Le fantasme de l'aventure. Ainsi pourrait-on synthétiser le fabuleux Garigari que nous livre Hugues MICOL en ce printemps 2025. Le dessinateur aux mains d'or revient à ses premières amours avec cette bande dessinée entièrement muette de quasi 200 pages, dont les tournures narratives foisonnantes, l'énergie du dessin ainsi que l'univers japonisant nous rappellent l'improvisation furieuse de sa trilogie inaugurale Romanji élaborée il y a une vingtaine d'années.
Cette fois, après l'univers yakuza pour Romanji, MICOL s'empare avec Garigari du chanbara, autrement connu du côté de nos frontières comme le film de samouraïs. Genre cinématographique absolument épique et truffé de duels de sabre à l'intensité énorme, le chanbara offre un terrain de jeu splendide à l'avidité micolienne, laquelle s'exprime à chaque page avec toute l'ardeur d'un jeune rōnin qui découvrirait l'art de la danse.
Dans un Japon médiéval où le mythologique s'ancre dans le quotidien, où créatures étranges et humains - non moins étranges - se partagent l'univers, une guerre couve à cause d'un malheureux incident. Tous les prétextes sont bons pour déclencher le feu de la discorde. Un samouraï aux pouvoirs étonnants est alors missionné pour récupérer la preuve de l'événement - une flèche - et ainsi étouffer l'incendie diplomatique.
À partir de là, le dessinateur de nous emporter dans un maelstrom d'images, faites de péripéties infinies, de combats exubérants, de portraits étranges, de villes labyrinthiques, de forêts immenses en lesquelles se font des rencontres mystérieuses. Hugues MICOL, loin de vouloir coller avec précision à une exactitude culturelle, fantasme au contraire totalement ses inspirations pour les fusionner à son propre univers, foutraque et grandiloquent. En résulte une aventure inarrêtable dont les accents folkloriques renvoient en permanence à un imaginaire et un univers esthétique d'une grande noblesse, plein de vigueur, de majesté, de précision et de poésie auxquels vient s'ajouter la folie fiévreuse d'un artiste en prise avec la joie d'accoucher d'images qui le possèdent, de laisser libre cours à la main qui trace, hachure et noircit inlassablement.
Son personnage principal, croisement improbable d'un samouraï, d'un mage et d'un funambule, est à l'image du récit : mystérieux, dynamique, plein de surprises et de tours dans sa poche, sans cesse en mouvement - plongées/contre-plongées sans cesse alternées pour répondre aux acrobaties extraordinaires exécutées comme un art de vivre. Pas un instant ne passe sans que l'on ressente l'énergie, le plaisir procurés par l'aventure. La force du tracé tire la bourre à l'élaboration complexe des cadrages, à l'infinie profusion des détails, et à un travail de trames dantesque qui tire sa sève de la gravure.
On croit y ressentir la présence du spectre de grands artistes, couvant Garigari de leur aura, Akira Kurosawa, Sergio Toppi, Hayao Miyazaki,
Lewis Carroll, Shigeru Mizuki... mais MICOL, au final, ne fait que du pur MICOL, compose un livre qui ne ressemble qu'à lui. Généreux, un peu fou, vitaminé, joyeusement débordant.
Garigari se lit d'une traite, absorbés que l'on est par les élucubrations d'un auteur habité, par les incantations graphiques d'un dessinateur qui fait de sa pratique le creuset d'une magie noire et terriblement savoureuse.
Hugues MICOL, Garigari, 2025, Cornélius