"LA COLÈRE DE POSÉIDON" - Anders NILSEN

Six ans après son colossal et instantanément culte Big Questions  paru à L'Association, Anders NILSEN nous revient, cette fois-ci chez Atrabile, avec le monumental La Colère de Poséidon. Et nul doute qu'à son tour cette œuvre fera date et laissera de sacrées ornières dans l'esprit de ceux qui la liront !


Le principe est simple : sous forme de récits courts, déployer un théâtre d'ombres où le destin des dieux serait prolongé dans la modernité. Un genre de suite de la saga antique avec la civilisation occidentale contemporaine comme point de mire.
N'est présenté qu'un seul dessin par page, contenu dans son cadre stricte et rigide, comme un temple destiné à l'illustration qu'il garde. Le tout étoffé par un soubassement textuel. La bande dessinée se décompose et en revient à un aspect plastique plus proche des bas-reliefs antiques et retables médiévaux qu'à la forme traditionnelle qu'on lui connaît majoritairement.

Imaginons maintenant des divinités déchues, oubliées, désabusées, extraites tant du panthéon grecque que du christianisme, dont l'heure de gloire se ferait lointaine et pour qui l'éternité se résumerait désormais à une errance infinie. Errance qui finirait par croiser, au bout de quelques milliers d'années, la nôtre.


En somme, Poséidon, Athéna, Isaac, Prométhée, Jésus, Léda, Dieu... réintègrent le monde et goûtent à la vacuité de leur existence.

 

"Alors que je regarde la poussière, tout ce qui reste de toi, s'envoler dans une colonne de fumée, je me rends compte que tu as obtenu ce que tu voulais. Et moi, tout dieu que je suis, je me retrouve seul au monde."


Anders NILSEN enchâsse avec brio les destinées divines et humaines, avec cynisme et/ou profonde désillusion, il renvoie l'Homme face à lui-même en déboulonnant les idoles et en désignant leurs fractures, qui sont, avant tout, celles que l'humanité porte en elle. Le texte, condensé, réduit à l'essentiel, tape fort tout en s'offrant une élégance formelle qui ébranle et touche profondément. Dans un élan similaire d'épure éloquente, le dessin joint ses efforts en mettant en scène un théâtre d'ombres où semble se jouer le dernier acte d'une tragédie dans laquelle nous sommes plongés jusqu'au cou. Émergent de ce traitement implacable vide infini et obscurité morbide, par le biais de silhouettes souples aux lignes perturbantes, dont les courbes s'opposent en permanence. Aucun enchaînement cinétique ici, pas de couleurs non plus, et pourtant le mouvement est omniprésent, l'image palpite et les contrastes  embrasent la page...

 

La Colère de Poséidon  jette un regard froid sur le présent en faisant défiler ces mythes que nous nous sommes construits et en les soumettant à notre propre jugement. Dieux instables, mouvants, futiles, colériques ou dépressifs, parangons d'une société malade capable de porter aux nues sa propre bêtise, se dissolvent,  meurent ou sombrent, seuls, incapables de percevoir le moindre espoir à l'horizon.

 

Sans concession mais sensible au-delà des apparences, résonne dans cette Colère  toute la fragilité de la condition humaine. Ça pulse et ça vibre intensément. Jusqu'à la Fin.

 

 

 

Anders NILSEN, La Colère de Poséidon , 2018, Atrabile