"LE TRIBUT" - J-M ROCHETTE & B. LEGRAND

Comment envisager l'altérité, comment réaliser que notre approche du monde n'est pas unique, que la voie du progrès scientifique n'est pas forcément la mesure-étalon sur laquelle nous reposer ? En d'autres termes : notre civilisation, qui se voudrait supérieure et globalisante, n'est-elle pas au final purement aveugle, sous-développée et incapable d'interagir avec son environnement ?

De bonnes grosses questions existentielles a priori  un peu grossières qu'aborde avec énormément de finesse "Le Tribut", récit de science-fiction entamé en 1995 par ROCHETTE et LEGRAND et jamais totalement terminé jusqu'à présent. Chose corrigée en la présente, avec cette réédition signée Cornélius
(aux p'tits oignons, comme d'habitude) qui réunit les deux tomes déjà parus plus un épilogue inédit, pour conclure véritablement ce récit.

Au cœur d'un conflit intergalactique opposant l'espèce humaine à des aliens mutiques, nous voilà embarqués sur une planète étrange avec le lieutenant Juan Gaviero et la spatio-écologiste Gilda Weaver, en quête d'une nouvelle source d'énergie dont dépend la survie de l'humanité. Hostile et mystérieuse, cette planète aura un impact profond sur le soldat et sera le point de départ d'une aventure tortueuse...

La force de ce récit se situe dans sa capacité  à développer un scénario de SF pure, avec tous les codes du genre  (colonisation d'autres planètes, guerre contre des aliens, voyage dans l'espace, etc) tout en évitant de trimbaler les valises parfois un peu lourdes de l'ultra-technologie et des détails scientifiques indigestes, pour en faire un récit transgenre scénarisé à la perfection, qui se concentre davantage sur une réflexion environnementale plus que sur l'aspect des vaisseaux spatiaux. Les textes, courts, simples et sensoriels, donnent une profondeur supplémentaire à l'ensemble, qui se revêt même d'une charge poétique assez puissante à certains moments.


Qu'on ne s'y trompe pas, "Le Tribut" est bel et bien une aventure pleine d'action, mais qui se paie le luxe de ne pas être que cela, par l'emploi d'une certaine charge expressionniste visible tant dans le dessin que dans la narration. Courtes ellipses qui fragmentent habilement l'histoire, images en pleine page qui fusionnent dessin et peinture, passé, présent et futur... De nombreux trésors se cachent au cœur de ces pages qu'un coup d'œil trop rapide ne saurait relever.
Voici une belle manière de se faire rencontrer écriture classique et avant-garde.

À noter, pour preuve supplémentaire de la portée de l'œuvre, que James CAMERON a très certainement pompé "Le Tribut" pour le scénario de son "Avatar", mais en oubliant tous les ingrédients et la subtilité qui font l'intérêt de l'œuvre originale...

J-M ROCHETTE & M. LEGRAND, Le Tribut,  2016, Cornélius,